bande dessinée • Derib travaille sur les
dernières couleurs d’une histoire mettant en scène une vache, «Violette», et sa
maîtresse Camille. Son souci: sonner juste et dire vrai.
Photos Christian Hofmann |
«Pour moi, les chotts (petits mazots sans
soubassement en pierre) de Bréonna sont un petit paradis, avec à gauche la
Dent-Blanche et en face les Veisivis. Ce fut mon premier contact avec la nature
quand mes parents m’ont amené à la Forclaz, j’avais 2 mois.» Derib est resté un
amoureux de ce coin préservé, et depuis longtemps trottait dans sa tête l’idée
d’une bande dessinée dans laquelle le val d’Hérens serait l’écrin. Une idée qui
a germé, mûri au fil du temps pour devenir enfin «Tu seras reine», une bande
dessinée mettant en scène le rapport entre une jeune fille, Camille, et sa
vache, «Violette», une histoire d’amour, une histoire de passion – nous n’en
dirons pas plus! – que les lecteurs découvriront en automne.
Sur les hauts de La Tour-de-Peilz où Derib nous
reçoit, l’atmosphère est plutôt détendue. Et pourtant, à deux semaines de
rendre ses planches, l’auteur doit encore passer entre 12 et 13 heures à les
coloriser à l’aquarelle: «Je suis obnubilé par la couleur, mais détendu, car
l’histoire est terminée, le stress était de savoir comment la finir»,
lâche-t-il dans le salon empli de la présence de François de Ribaupierre, le
père.
«Sonner» juste
«Je me rends compte que ce n’est pas une bande
dessinée habituelle», explique-t-il en nous présentant les premières planches
en couleurs. «La difficulté c’est d’être respectueux du Valais et des
Valaisans. J’ai un respect pour le métier d’agriculteur et de paysan.» On sent
chez lui le besoin de «sonner» juste. Plus tard, dans son atelier, il nous
présentera les centaines de photos qu’il a utilisées pour s’imprégner des gens
et du décor. Plus, il a demandé à deux jeunes filles de la vallée de jouer les
héroïnes, «un rôle de composition», s’empresse-t-il de dire. Antoine Aymond
Forclaz, «le gardien des étoiles», joue le grand-père, le vétérinaire
Jean-François Bouille tient le sien. «Je voulais ses conseils techniques pour
une césarienne et pour une blessure au combat.» Tant qu’à faire, le véto est
croqué dans la bande dessinée! Il y a les chiens aussi, «Patch» et «Bobby». Et
surtout les vaches! Derib a dû s’adapter à elles; habitué à dessiner des
chevaux pour Buddy Longway ou Yakari, il lui a fallu les saisir: «elles sont
plus trapues, comme un rectangle et il fallait qu’on les distingue à chaque
fois les unes des autres!»
Infatigable conteur en dessin, il l’est aussi
quand il s’agit de raconter son travail. Très vite, les yeux se mettent à
briller. «Je n’ai jamais vécu autant d’intimité avec mon histoire! Ici, tout
doit être précis, les lieux reconnaissables. Vex, Saint-Martin, le chalet...»
Sonner juste et dire vrai: «Sans entrer dans les problèmes politiques
valaisans, ni en faire le guide de l’élevage de la race d’Hérens, mais
retranscrire cette source d’émotion de mon enfance. J’ai vécu les combats des
reines d’alpage, le plaisir de gouverner, de diriger les bêtes avec un fouet,
le fromage sur les cendres, le ciel bleu, la forêt...»
A
contre-courant
La bande dessinée ne tombe pas dans une apologie
nostalgique, ni n’est frappée d’un esprit moralisateur. L’auteur qui à travers
la Fondation pour la Vie a distribué plus de 1,3 million d’albums de «Jo» a
toujours eu le souci de transmettre de véritables valeurs, simplement. «Cette
BD est importante pour moi, c’est une histoire extrêmement positive, à
contre-courant de ce qui se fait aujourd’hui.» Derib ne cache pas l’importance
qu’il accorde au patrimoine: «Par rapport à mon vécu, je voulais laisser une
image que beaucoup de touristes partagent: quand tu es allé une fois dans le
val d’Hérens, tu veux y retourner.» Et s’il avait un secret espoir, il voudrait
que sa bande dessinée vive le même parcours que «Jo»: «Qu’elle soit lue à
l’école! Les enfants y retrouveraient leurs racines de manière positive.» Car
l’histoire raconte justement le poids que peuvent représenter les non-dits au
sein d’une famille. Enfin, ces vaches, à force de les dessiner, est-ce qu’il
n’en aurait pas un peu marre? «Aujourd’hui, je suis déjà en manque. Si cela
marche, je rajouterai des pages à l’aquarelle. Je n’ai pas eu mon compte
absolu!» LENOUVELLISTE
> Derib, «Tu seras reine», Ed. Lombard,
sortie en septembre 2012.
La famille à l’ouvrage
Chez les de Ribaupierre, l’esprit de famille se cultive par le travail en équipe. Sur ce projet,
mûri depuis des années et pour la première fois, Arnaud, le fils, amène sa
touche graphique. «Avec mes sœurs nous avions toujours été intégrés aux
différentes créations par un œil extérieur, donc nous avons toujours été
concernés. Aujourd’hui je peux allier mes connaissances au projet de mon père.
Il y a le plaisir de partager quelque chose au travers d’une activité qui nous
plaît à chacun, le dessin pour lui, la photo, la conception pour moi.» Des
plans filmés à l’été 2011 et ceux faits en atelier seront matière à un DVD dans
l’esprit d’un «making of» relatant toute la création de cette bande dessinée.
Difficile de travailler avec ses parents? «C’est une expérience particulière,
ni mieux ni moins bien. Les choses se disent plus franchement. Quand ça ne
plaît pas c’est direct!»
Quant à Dominique, la femme de Derib, excellente coloriste et illustratrice («Autrefois
Evolène», «Evolène en fête»), elle s’est attelée au lettrage, pour la version
patoisante. Elle s’est aussi occupée du cahier culturel qui accompagnera une
édition «valaisanne» de «Tu seras reine», consacré naturellement à la vache
dans sa dimension artistique et historique. La création, vraiment une histoire
de famille. DC
Le dessinateur passe entre 12 et 13 heures par
jour sur les couleurs, à l’aquarelle
Source : La Liberté / Didier Chammartin
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